mardi 28 octobre 2014

L'importance de ton regard de Lionel Davoust

Des voiliers bloqués par la glace, condamnés à s'entretuer ; des hommes qui se font du tunning à même la peau ; le destin de Pinocchio si l'histoire avait continué ; la quête de pierres précieuses à remettre à Ysrafil  ou encore des guerriers mémoires qui en combattant perdent des pans de leur passé .... 

Des nouvelles atypiques - au nombre de 17 - qui couvrent un panel de genres étonnant, d'histoires variées, voici ce que nous propose Lionel Davoust dans son recueil L'importance de ton regard (qui porte le nom de son avant-dernière nouvelle, la plus longue et la plus troublante). Lionel Davoust je ne le présente plus, s'il est si présent sur ce blog c'est parce qu'il fait partie des écrivains dont je tiens absolument à dévorer tout ce qu'il fait .... parce que j'aime ce qu'il écrit et encore plus j'aime la façon dont il le fait.
Cet auteur a une plume magique, tout ce qu'il grave sur le papier, c'est de manière coulée, sensible et touchante et en même temps forte et poignante, il sait parler des sentiments, des sensations et nous les faire toucher du doigt .... Je n'ose même pas aborder sa justesse de propos lorsqu'il évoque la mer ..... qu'on pourrait voir se dessiner sous nos yeux rien qu'en quelques lignes.

Alors je ne vais pas parler de toutes les nouvelles, je ne les ai pas toutes appréciées de la même manière, -je ne suis, par exemple, pas entrée dans Inventaire et A la manière de  et j'ai trouvé Devant bien trop courte - mais seulement évoquer celles qui m'ont le plus marquée :

- En premier lieu, celles qui se passent sur la mer comme l'Impassible armada (ces voiliers à la merci du gel, juste délivrés de temps en autre par le flux qui leur permet de modifier leurs positions pour mieux lutter les uns contre les autres) ; Never Think of The Perfect Storm ou Lions et espadons qui évoquent la pêche, la lutte contre l'industrialisation, la force de ce métier de pêcheur, la passion de ceux qui le pratiquent .... J'ai ressenti de la peine en lisant la dernière .. la fin d'un rêve, la fin d'une vie de pêcheur, la fin de vie d'un navire ... c'est tellement sensible et bien décrit que les larmes me sont montées aux yeux, j'ai ressenti le déchirement de cet homme qui voit sombrer celui qui l'a accompagné tant d'années. Cela m'a rappelé le choc et le désarroi ressenti lorsque dans le film La leçon de piano, le piano est jeté par dessus bord et s'enfonce sous l'eau (bon je sais, c'est idiot mais il m'arrive d'être bêtement sentimentale face à certains objets).
J'ai trouvé aussi la mer tellement bien décrite, je crois que c'est l'un des auteurs qui me fait le plus vibrer lorsqu'il parle de cet élément qu'il connaît si bien.

- Tuning Jack : Une nouvelle terrible qui met en scène des jeunes cherchant à se démarquer des autres en se clouant, greffant des plaques métalliques (ou éclairages, piles sous la peau ou sur les tympans) à même leur corps, enfonçant des broches dans les os ..... le tout dans un univers complètement glauque où la télé réalité montre un loft où les gens s'éliminent atrocement. Un récit à faire frissonner car on finit par se demander si la réalité ne rattrapera pas un jour la fiction ....texte qui traduit admirablement la bêtise humaine à la pointe de la mode ou du "que faire pour être comme les autres" ?

- Récital pour les hautes sphères : Barnabé, qui souffre de tout entendre trop fort, se crève les tympans et accède alors à une musique intérieure qu'il qualifie de céleste et qu'il tente de reproduire ..... En-dehors de la beauté de ce qui est décrit sur cette musique proche des étoiles, la nouvelle conte tout le parcours de la production d'un album, face à des requins qui ne voient que l'aspect financier et existent dans un monde où soit tu es le meilleur, soit tu es viré.

Avec ces deux nouvelles, Davoust pointe habilement du doigt toutes les dérives d'une société de consommation qui ne recule devant rien pour vendre, au détriment de l'individu, de sa santé et de son âme.

Dans le même thème, la fameuse nouvelle qui porte le nom du livre : L'importance de ton regard .... Elle m'a scotchée, il n'y a pas d'autres termes ..... Un jeu, Unicraft, dévore peu à peu la société et l'humanité en amenant des millions de gens à se connecter en ligne, en oubliant tout le reste ...... C'est terrible car proche d'une certaine réalité .... Les gens jouent parce qu'ils fuient leur propre vie, qu'ils n'y trouvent plus d'intérêt et parce qu'aussi les seuls liens qu'ils parviennent à maintenir sont ceux des joueurs rencontrés en ligne.
Cette espère de fièvre ressentie à l'approche du moment de jouer, ces regard en coin vers l'objet sacré : l'ordinateur ouvert sur la page d'accueil avec ce petit icône sur lequel il suffit de double cliquer pour franchir les portes de l'imaginaire et se transformer en quelqu'un d'autre .... tout est parfaitement et justement écrit avec ce pouvoir d'accrocher implacablement le lecteur et l'amener à réfléchir ..... Car dans ce monde décrit dans cette nouvelle, tout est devenu gris, sans espoir, sans plus de notion de temps .... une société à la dérive. Cela fait très peur ....

Sinon autres nouvelles que j'ai adorées :
- Prière à Aarluk, ma préférée avec L'Îe Close, L'impassible armada et Bataille pour un souvenir : je l'ai trouvé magnifique, cette quête du soi auprès des orques, un très beau texte, vraiment, et quels animaux fantastiques lorsqu'ils peuvent évoluer en liberté et non prisonniers des ces horreurs de parcs aquatiques ! Encore une fois Davoust a su parfaitement faire ressortir la liberté qu'ils renvoient.

- L'Île close : ah j'ai adoré cette nouvelle mais en même temps, en ancienne passionnée des chevaliers de la Table Ronde, c'était presque sûr ; seulement en plus j'ai vraiment accroché à cette crise d'identité des héros, lassés de revivre sans cesse leur histoire sous différents angles et même différents noms. Quelle nouvelle novatrice sur la Geste ! D'ailleurs dans le même genre, j'ai beaucoup aimé aussi Personne ne l'a jamais dit qui montre le devenir de Pinocchio après être devenu un petit garçon en chair et en os : très bien vu.
En lisant l'Île Close, à la manière dont c'est relaté, j'ai vraiment eu la sensation de comprendre ces héros et ce qu'ils ressentaient à voir narrées leurs histoires, sans leur laisser le libre arbitre : c'est ça le destin des personnages de livres, ils sont tributaires de la volonté de celui qui leur a donné vie .... Vraiment très chouette.

- Bataille pour un souvenir : Une atroce bataille embellie par la plume de Davoust : eh oui il parvient à poétiser le pire drame humain, c'est fort. Du coup on en oublie les bouillies humaines, les souffrances à la lecture de ce très beau texte qui parle de guerriers mémoires qui pour gagner des forces en oublient un pande leur passé, la bataille finale entre Thelin et Erdani est juste hallucinante.

En conclusion, que dire de plus ? j'ai envie de citer un passage de Scifiuniverse qui dit les choses bien mieux que moi :
 "C'est d'ailleurs une récurrence dans toutes les nouvelles du recueil : le style magnifique de l'auteur. Sa façon d'écrire et de retranscrire des images, des idées fortes par les mots s'affirme comme un des grands points forts du recueil. Lionel Davoust maitrise la langue française et en use de la plus agréable des façons. Les nouvelles et les registres changent, la force de l'écriture reste."

Lionel Davoust c'est le Bien ^^ Ce livre fait partie désormais de mes coups de coeur 2014.

Extraits
"Rien ne subsiste sur le passage de nos furies guerrières. Les hommes tombent à terre, engoncés dans leurs carcans futiles; leur sang et leurs entrailles se mêlent aux cristaux-vapeur blanchâtres et aux liquides noirâtres vomis par les machines découpées. Il n'y a que la steppe pour répondre à leurs plaintes; Fraél et moi traçons un sillage de mort au travers des rangs d'Asreth. Chaque fois que nous tuons, nous mourons aussi un peu; tels des charognards de notre propre mémoire, nous nous dépouillons de ce qui fait sens dans nos vies."

Un corps non tuné ressemble à un appartement témoin : tout y est de série. On peut aimer son volume corporel mais préférer néanmoins l'équiper à sa façon. Alors oubliez les peaux monochromes, les silhouettes ordinaires, les visages quelconques. Osez les équipements multimédias, les kits animaux, les finis métalliques. Essayez. Trouvez votre style. Constituez votre ligne de conduite. 
C'est la différence entre être, et Exister."

"Devant la rive, leurs dorsales noires tranchent l'écume comme les cimeterres des gladiateurs et leurs puissants battoirs giflent les flots avec les claquements d'une bombe. Leurs crocs implacables déchirent, tranchent, arrachent et l'eau noire prend des reflets rouille, poisseux, en fuite d'huile. Devant l'ovale blanc, vaste orbite aveugle, je discerne leurs yeux d'une intelligence étrangère que n'habite nulle question, seulement l'action, l'application impeccable. Une intention pure. Au milieu, la baleine se rend aux assauts des orques, et les flocons sur sa chair de sous-marin comme des larmes."

Que c'est beau ....

Ailleurs

 




4 commentaires:

  1. J'ai honte, ça fait des années que je picore ses nouvelles à droite à gauche dans des anthologies, mais j'ai toujours pas lu un seul de ses romans ><

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  2. Je n'ai pas lu ce recueil, mais je viens d'acheter "La route de la conquête", dans le même univers que le très bon "La volonté du dragon".
    Et j'ai aussi la trilogie "Léviathan".
    Lionel Davoust est vraiment un très bon auteur, sensible et à la belle plume.

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  3. Ca a l'air sympa comme tout ce recueil ! Le premier tome de Leviathan m'avait beaucoup plu, le rapport à la mer, forcément ^^

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  4. Vraisemblablement, je vais enfin lire ce recueil d'ici la fin de l'année. Ta chronique me motive en tout cas.

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