dimanche 19 octobre 2014

Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworsky

"Au bout de dix heures de combat, quand j'ai vu la flotte du Chah flamber d'un bout à l'autre de l'horizon, je me suis dit "Benvenuto, mon fagot, t'as encore tiré tes os d'un rude merdier". Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d'écraser les escadres du Sublime Souverin de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passée. Je me gourais sévère ..."

Le moins que l'on puisse dire c'est que la quatrième de couverture annonçait joyeusement la couleur de ce qui allait être mon livre de chevet durant 10 jours .... 
"Je me gourais sévère" .... Benvenuto Gesufal pouvait bien le prédire maintenant que la victoire acquise, il allait falloir se partager le butin mais surtout intriguer pour ne jamais perdre la face, pour bien asseoir ses acquis et ses ambitions ..... Car Leonide Ducatore, tout fin stratège qu'il soit, est un sacré politicien véreux, manipulateur, n'hésitant aucunement au sacrifice pour parvenir à ses fins .... et comme le dit si finement Benvenuto, c'est son patron ..... et lui en sera le plus grand jouet afin d'assouvir ses désirs et buts.

Gagner la guerre c'est déjà un fort beau livre, magnifique (de ceux qui me confirment que jamais je ne passerai au numérique même si en parallèle avec de vrais livres) .... une couverture à tomber par terre (j'ai passé 10 jours à la contempler systématiquement avant d'ouvrir le livre, en plus un voilier quoi, je me pâme !!!), un livre fort lourd aussi (presque 1,2 kilos ! ce fut du grand art pour ne pas le faire tomber dans la baignoire celui-ci !) ....

C'est aussi un roman dont  on est happé dès les premières pages, non que dis-je, dès les premières lignes, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, si ce n'est qu'après avoir lu Janua Vera, je savais que j'aimais la façon d'écrire de Jaworsky. En réalité, ce fut juste un coup de coeur, j'ai dévoré d'un bout à la fin, complètement dedans, c'est bien écrit, c'est rythmé, on a la sensation de se tenir à côté de Benvenuto à chaque instant et de vivre intensément ce qu'il traverse. Une immense partie d'échecs dont les personnages sont des pions que l'on déplace de cases en cases selon les intrigues, j'ai même eu la sensation certaines fois de me trouver dans un jeu de rôle. J'ai vécu chaque combat, chaque fuite comme si cela se passait devant mes yeux, c'est vraiment très prenant et tellement bien écrit, tellement bien décrit qu'on le vit intensément.
J'ai encore un souvenir percutant de certaines scènes : comme la fuite de Benvenuto à travers les toits, ou alors le final incendiaire .... OMG quoi ! C'est du grand grand art !

L'autre point fort du roman, c'est le personnage en lui-même : Benvenuto Gesufal, donc, rédige son histoire à la première personne, c'est le type même du mauvais garçon : soudard, brutal, le langage fleuri, sans pitié, n'hésitant pas à étendre toute personne se mettant en travers de son chemin, même pour des raisons futiles (genre un excès de mauvaise humeur) ou culbuter le jupon au détour d'une rue .... Il ne montre ni émotion, ni sentiment .. en bref un beau salaud ...mais .... un salaud que j'ai adoré, Jaworsky réussit à nous faire aimer un mauvais personnage ! Il faut dire que chacun est manipulateur dans l'âme, chacun est pourri à sa façon, c'est brutal et cru. On a affaire à de vrais durs, qui n'épargnent pas le lecteur, on s'en prend plein les mirettes !

Autant dire aussi que Jean Philippe n'épargne pas davantage son personnage principal : le nombre de coups qu'il se prend dans la gueule, c'est juste hallucinant et il n'y va pas avec le dos de la cuillère, on est loin des héros qui se prennent des coups et se relèvent "même pas mal" .... Non Benvenuto se relève parce que c'est une tête brûlée, une tête de lard mais il souffre, on lui défonce la tronche au gantelet, pas de faux-semblants, c'est aussi gore qu'un Urgence en pleine panique, le sang, les dents déchaussées, le nez cassé, la mâchoire fracturée, du grand art ! L'auteur a du sacrément bien se renseigner pour être aussi au courant de ce genre de blessures !
Je suis d'ailleurs assez étonnée d'avoir aussi bien supporté les scènes horribles, probablement grâce à l'humour noir dévastateur de Benvenuto :
"Lui aussi, je le traînai jusqu'aux gaffres endormis, histoire qu'ils se tiennent chauds entre refroidis"
C'est imparable ! Il aurait fallu que je les note au fur et à mesure mais j'étais trop envoûtée pour m'arrêter en pleine lecture afin de prendre des notes, déjà qu'il fallait que je le laisse à la maison lorsque j'allais à la mine (j'avoue je l'ai emmené une seule fois mais je n'ai même pas eu le temps de l'ouvrir).

Quant à l'intrigue, commencer par la victoire constitue déjà une façon particulière d'aborder un récit, on entre de toute façon en plein dans l'action .... L'histoire fait penser à la Renaissance Italienne, de par les descriptions des demeures, des rues, mais aussi aux Romains, on ne sait pas bien donc à quelle époque on se situe. Le côté fantasy est très dilué mais savamment ajouté : des elfes discrets, un nain très grincheux, des magiciens qui pratiquent la nécromancie. Pour le reste, intrigues politiques bien menées, vision économique et militaire d'un monde parfaitement bien construit et sensé, tout se tient.
Il y a aussi un côté très noir dans ce roman, la présence de ces fantômes, de ces morts qui hantent Benvenuto, ce qui distille une sorte d'angoisse sourde, d'autant plus forte que c'est rédigé à la première personne et que l'on suit notre personnage pas à pas.

Je me rends compte à quel point mon billet est décousu et qu'il ne rend pas assez hommage à ce formidable roman, il faut dire que c'est difficile de structurer ses pensées quand on a adoré à ce point, je viens juste de l'achever et j'ai envie de dire que Benvenuto me manque déjà !

Merci Jean-Philippe Jaworsky pour ce pur bonheur de lecture, pour ce bijou qui comptera désormais dans mon panthéon des "livres préférés".
Gagner la Guerre est juste un Chef d'Oeuvre !

Extrait
"La vie est une chierie.
Vivre, c'est souffrir. La naissance, c'est une expulsion obscène, pleine de cris, de sang et de mucus ;  c'est un coup de dé où la mère peut claquer, où le morveux peut claquer, quand ce n'est pas maman et bébé qui parent ensemble faire un câlin définitif entre quatre planches. C'est aussi la première occasion pour le chiard de se retrouver la tête au carré ; à peine dégringolé, on le tabasse jusqu'à ce qu'il gueule ; ensuite, on le rectifie au couteau, histoire de le couper du paradis terrestre et de lui signifier que c'est la vie, que les ennuis ne font que commencer. Mourir, par comparaison, c'est déconcertant de facilité -et croyez- moi, je sais de quoi je parle. Il suffit d'être distrait, de  trébucher ou de lâcher prise. Ce qui est dure, ce qui est effrayant, ce qui fait la différence entre un beau mort et un cadavre torturé, ce n'est pas la camarde :  c'est l'obstination avec laquelle la vie s'est accrochée à une viande condamnée."

Ailleurs

6 commentaires:

  1. Quel formidable roman en effet : Jaworski nous emporte par sa verve pour ne plus nous lâcher, et les pages défilent toutes seules. Un livre que je relirai, c'est certain.

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  2. What ?! Dans ton bain ? C'est idéal pour faire de la muscu mais un peu risqué tout de même XD

    Je n'arrive pas à écrire ma chronique de Gagner la guerre, ça fait des mois qu'il traîne sur le coin de mon bureau :/ J'ai bien aimé mais il y a des mais. J'ai préféré Même pas mort et Janua Vera.

    Belle chronique dans laquelle on sent bien que tu as beaucoup aimé ^^

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  3. Décousu mais enthousiaste le billet, ça donne envie de le relire (j'ai déjà kiffé :p)

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  4. J'aurais jamais osé le lire dans mon bain celui-là xD
    (bon en même temps j'ose jamais vraiment le faire, à part avec des magazines !)

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  5. Du grand art ! Jaworski (avec un "i" ;) ) est grand !

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