Chaque nuit, Leodegar le Resplendissant se réveille en hurlant dans son palais. Quelle est donc l'angoisse qui étreint le conquérant dans son sommeil ? S'agit-il d'un drame intime, ou bien de l'écho multiple des émotions qui animent le peuple du Vieux Royaume ?
Désenchantement de Suzelle, la petite paysanne, devant la cruauté de la vie ? Panique de maître Calame, le copiste, face aux maléfices qui somnolent dans ses archives ? Scrupule d'AEdam, le chevalier, à manquer aux lois de l'honneur ? Hantise de Cecht, le housekarl, confronté aux fantômes de la forêt ? Appréhension de Benvenuto, le maître assassin, d'être un jour l'objet d'un contrat ? Ou peurs primales, peurs fondamentales, telles qu'on les chuchote aux Confidents, qui gît au plus noir des ténèbres ....
Souvent lorsque je commence par citer la quatrième de couverture, c'est pour aborder le livre en me fiant à l'intelligence d'un résumé qui, en temps normal, devrait juste donner envie de lire et non pas raconter toute l'intrigue (comme malheureusement dans Bilbo le Hobbit). Pour Janua Vera, je rajouterai que cela correspond tellement à ce recueil de nouvelles, que je l'ai trouvée vraiment pertinente.
Voici donc ma toute première lecture de cet auteur que j'avais rencontré aux Imaginales de 2010 (cela date !) et j'ai honte d'avoir attendu aussi longtemps pour découvrir ce petit bijou. Oui car n'ayons pas peur des mots, Janua Vera c'est un chef d'oeuvre !
D'une part parce que c'est prodigieusement bien écrit, mieux que cela, je n'ai jamais lu encore une telle richesse de langue française : richesse de la syntaxe, du vocabulaire, beauté des mots, "langue affirmée et raffinée " (cité par nooSFere), "chaque nouvelle d'écriture est un ravissement d'écriture, à la langue étudiée et ciselée" (dixit Scifi Universe), adaptation au contexte médiéval et fantasy .... en somme un véritable délice de lecture, à la rigueur j'aurais même envie de dire, tant pis si on ne comprend pas tout, c'est juste tellement beau à lire que le reste importe peu.
Cependant dans ces écrits, le reste est tout aussi intéressant : d'une part l'univers présenté par Jaworsky du Vieux Royaume, déchiré par des guerres intestines, vu et vécu par les yeux des gens du peuple, ou des chevaliers, ou encore d'enfants, plongeant dans un univers médiéval peuplé discrètement d'elfes ou de nains ou encore de déesses, est aussi riche que la langue employée. Riche et un tantinet compliqué, il manque juste une carte pour situer les différents endroits narrés, mais par contre vive l'annexe qui condense toute l'histoire du Vieux Royaume, en commençant par les origines légendaires de l'histoire des terres destinées à devenir le Royaume de Léomance, en passant par le règne de Leodegar le Resplendissant (dont la fin constitue la toute première nouvelle) puis de ses héritiers, brisé par la Guerre des Grands Vassaux et enfin le démembrement du Vieux Royaume qui désormais est décomposé en Etats Indépendants, certains encore puissants et d'autres livrés au chaos.
D'autre part le côté fantasy de l'oeuvre est disséminé au cours des nouvelles, de façon très subtile et surtout s'intégrant parfaitement dans l'univers, ainsi prend-on pour vérité toute histoire de déesse ou d'elfe ou encore de terreurs primitives ou de légendes vivantes.
Et surtout aussi parce que chaque nouvelle forme une histoire à elle seule, on a tellement le temps de s'imprégner de l'ambiance, des personnages, du récit que l'on soupire à chaque dénouement ....lequel est rarement de bon augure. Chaque action est décrite avec une telle réalité qu'on a la sensation de la voir se dérouler, avec une certaine once de cruauté .... les combats sont très crus, Jaworski ne s'embarrasse pas d'enjolivements ou autre, un combat est un combat avec du sang, des tripes et de la souffrance .... la réalité en somme. Du coup on y croit à fond.
De plus les angoisses sont exploitées à fond, j'ai vraiment du prendre sur moi pour mettre de côté la claustrophobie engendrée par Le confident.
Peurs ancestrales, jalousies, angoisses nocturnes, tristesses face à la vie qui se déroule, peurs face à ses destins, toute la panoplie des âmes humaines est largement déployées à travers ces différents récits de personnages qui ne se croisent jamais .... Seul l'elfe Annoeth est évoqué à deux reprises. Largement déployée et très approfondie.
Chaque nouvelle est donc un ravissement, de plus servi par la très belle édition que j'ai achetée (comme j'ai bien fait !)
J'ai globalement aimé toutes les nouvelles avec une préférence notamment pour :
- Janua Vera qui nous présente Leodegar le Resplendissant, hanté par des cauchemars récurrents qu'il ne parvient pas à expliquer. Je trouve ses terreurs nocturnes particulièrement bien rendues.
"Un spasme de panique absolue. Les yeux exorbités, il réalise qu'il ne dort pas. Son coeur cogne sa poitrine à tout rompre, il a du mal à trouver son souffle, tout son être se dilate d'horreur. Son corps baigne dans une sueur aigre, qui sent la fièvre, la déchéance, des remugles de morbidité et d'angoisse."
- Mauvaise donne dans laquelle on fait la connaissance de Benvenuto, de son insolence et de sa manie à savoir rester en vie malgré la trame politique dans laquelle il a mis le nez presque malgré lui. Il est d'ailleurs le personnage clé de Gagner la Guerre, que j'ai du coup encore plus envie de découvrir.
"J'obtins ce que je voulais : quelques instants de délai. Je zigzaguai à plusieurs intersections pour semer les soudards. Bien malin qui aurait pu rattraper Benvenuto Gesudal dans la labyrinthe nocturne, désormais ... Je les entendis courir dans des ruelles voisines, hésiter, revenir sur leurs pas en poussant des cris de rage. Je me blottis dans l'ombre d'un porche pour reprendre mon souffle. Il était temps ; ma blessure se mit à ma lancer avec l'acuité d'un fer chaud et ma respiration devint douloureuse."
- Le conte de Suzelle : une nouvelle très triste et touchante sur le sort d'une petite fille qui toute sa vie attendra l'elfe qui, un jour, lui aura parlé. Il y a un côté très fataliste dans cette nouvelle, en même temps qui est très normal, dans ces temps médiévaux, on ne change pas sa condition, on nait paysanne, on le reste.
"Chaque soir, elle rentrait un brin lasse, l'oreille remplie de la chanson du ru et le coeur un peu serré. Toutefois, dès qu'elle était allongée, elle laissait son imagination vagabonder te trouvait une consolation dans le cours sans cesse répété de la même rêverie. Un soir un un matin, alors qu'elle ne s'y attendait plus, la berge toute entière était transfigurée par une présence. La silhouette racée du bel inconnu se dessinait en un crayonné brouillé, dans l'atmosphère brumeuse, et le coeur de Suzelle cessait de battre un instant, avant de repartir dans une folle chamade."
- Jour de guigne où le Maître Druse Calame, atteint du Syndrome du Palimpseste, accumule bévues sur bévues, c'est une nouvelle pleine d'humour et d'autodérision, un peu plus légère que les autres, j'ai pensé à Pratchett suite à certaines situations. Ce pauvre Calame attaqué par les puces et les morpions nous arrache malgré nous un sourire, bien que sa situation ne soit vraiment pas envieuse.
"Maître Calame avait encore un "nonobstant" sur les lèvres, mais une colonne de parasites belliqueux choisit ce moment précis pour mener une offensive contre son pli fessier. Notre héros bondit sur ses jambes comme s'il était monté sur ressorts et hurla presque :
" De grâce ! Faites-moi sortir immédiatement !"
- Un amour dévorant : la plus effrayante des nouvelles du recueil, je suis bien aise de l'avoir lue en pleine journée, cette course poursuite dans les bois, ces bruits, cette menace latente, m'a fait frémir.
"Cependant, il y avait pire. Arsinoé n'en était pas certaine, mais il lui avait bien semblé percevoir un aboiement féroce au fond des bois, à moitié couvert par le grondement de l'orage. Bien sûr, elle avait peut-être mal entendu. Bien sûr, il s'agissait peut-être des chiens du village, qui donnaient de la voix à l'approche de la tourmente. Elle tentait de se rassurer comme elle le pouvait, mais elle ne savait que trop que le village était devant elle, et que la bête qui avait crié était derrière elle. Et cette lumière morte qui l'entourait maintenant, trouble comme une eau stagnante, semblait remonter d'une époque enfouis où palpitaient encore des choses éteintes."
Voilà en tout cas une très belle découverte et un auteur à découvrir.
Ailleurs
Aaaaah, enfin, tu te mets à lire du Jaworski ! Belle découverte n'est-ce pas ?
RépondreSupprimerCe superbe "Conte de Suzelle", je ne m'en remets pas...
À bientôt pour "Ganger la guerre" ! ;)
Mieux vaut tard que jamais.
RépondreSupprimerBon donc en fait, on se retrouve sur Gagner la guerre ? :D
RépondreSupprimerUn très chouette recueil ce Janua Vera, un vrai plaisir de lecture. Qu'est-ce que tu as pensé du traitement des chevaux dans la nouvelle où y en a trois montés par des chevaliers ? Je ne me souviens plus du titre, je ne pense pas que ce soit parmi celles que tu cites ici. Bref, j'avais trouvé un certain charme à la façon dont l'auteur parle des chevaux.
RépondreSupprimer"Prodigieusement bien écrit". Tout à fait d'accord. En plus d'une belle imagination, d'un univers bien construit, il profite d'une plume merveilleuse qui sait dans ce cadre de nouvelles varier dans les tons, les styles et les nuances de langages. Un plaisir incroyable!
RépondreSupprimer