vendredi 8 mars 2013

Gueule de truie de Justine Niogret

"Lumière.
Lumière.
L'enfant ferme les paupières, assez fort pour voir cramoisi. Il connait les lumières, mais celle-ci lui blesse les rétines, même cachées derrière sa peau. Il pose les mains sur ses yeux et serre jusqu'à en avoir mal. Les lumières, oui, il en a l'habitude, mais celle-ci est une lumière, la lumière, un mot de la langue ancienne, compliquée dans la bouche. Elle brûle. Tout cela ne dure pas longtemps ; un battement de coeur affolé, à peine, et tout est déjà fini. Les Pères ont dit le mot et la lumière a été allumée."

Depuis la Flache où Dieu a ouvert la bouche pour parler, le monde est mort. Enfin c'est ce que croient les Pères qui désormais représentent La loi, et leur mission est de détruire le peu qu'il reste de la Terre, afin de tourner une fois pour toute la page de l'humanité. Leurs Mains, ce sont la Cavale, des hommes formés impitoyablement à tuer. Gueule de Truie en fait partie .. enfant il a appris toutes les façon de prendre la vie, sans pitié, puis reçu le masque qui lui a donné son nouveau nom.
Assisté des hommes de la Troupe, il piste les derniers survivants, s'en débarrasse. C'est un Inquisiteur, il a le droit d'interroger pour savoir, pour transmettre aux Pères .... Il n'est plus vraiment humain.

Or un jour il rencontre une drôle de fille qui porte une boîte sous le bras ...

Alors que j'ai fini ce livre depuis une bonne semaine, voilà qu'il traine sur ma table de salon en attente de son billet .. tout simplement parce que j'ai beaucoup de mal à démêler mes idées après sa lecture, alors désolée d'avance si c'est un peu brouillon.
La quatrième de couverture promettait une histoire poignante et sauvage, aussi inoubliable que La Route de Cormac Mc CARTHY. A vrai dire personnellement Gueule de Truie ne m'a pas du tout procuré les mêmes sensations et sentiments que La Route, loin de là.
Pour autant je ne l'ai pas détesté non plus, mais la fin m'a laissé  un tel sentiment dubitatif que j'ai du mal à dire que j'ai aimé cette lecture.

Pourtant cela débutait bien,  j'ai même lu une bonne moitié en étant à fond dedans, Justine Niogret sait aller droit au but et si ses phrases sont plus courtes et encore plus directes que dans ses deux précédents romans, Chien du heaume et Mordre le bouclier, on reconnaît bien son style franc qui sait allier les mots justes avec une certaine poésie ainsi qu'une certaine dureté crue du style.

Gueule de Truie, c'est une histoire violente ... qui se passe dans un monde sauvage .... Un univers post apocalyptique, où l'humanité a presque été entièrement détruite par les armes, et celles-ci disparues, soumise à son éradication au nom de Dieu lui-même ... Enfin c'est ainsi que l'interprètent les Pères de l'Eglise .... Et en Son Nom, ils se permettent d'accomplir des abominations.
Violence d'une part de ce monde démoli d'où ne restent que ruines, mousses verdâtres, chemins et trous blanchis par des squelettes, structures cassées, ferrailles apparentes ..... et gens qui se terrent et tuent pour survivre, c'est vrai que de ce côté là on est tout à fait dans l'univers de La Route.
Violence ensuite par le traitement, pas vraiment décrit mais sous-entendu -et c'est encore pire-, subi par les recrues des Pères de l'Eglise, ces enfants que l'on conditionne à tuer sans pitié.
Gueule de Truie est devenu en quelque sort un monstre fabriqué par la folie d'hommes certains d'oeuvrer pour le bien de l'humanité. Un monstre qui ne ressent rien, ni la compassion, ni la douleur, qui attend patiemment et se laisse maltraiter lorsqu'il est capturé pour laisser ensuite sa soif de haine prendre le dessus et l'amener à tuer à mains nues, c'est sa marque de fabrique en passant. Je n'arrive même pas à imaginer celle de l'individu qui se nomme Craque- Neurones, cela me donne froid dans le dos. 

Violence enfin par les sentiments enfouis de cet homme si dur avec lui même et les autres, tellement au plus profond de lui qu'il ne sait même plus ce que c'est, à se demander s'il l'a connu un jour, avant d'être brisé. Les mots de l'auteure soulignent d'ailleurs parfaitement cet état de fait, ils sont à l'image du raisonnement de Gueule de Truie : bref, par instants de fulgurance, de prise de conscience : inutile de faire de longues phrases alors que ses pensées sont si morcelées et primitives, c'est d'ailleurs le point le plus fort de son roman : son adaptation au personnage principal est telle que son style en est le témoignage.

Toute cette violence a quelque espoir d'être adoucie lors de la rencontre de la fille .... d'où vient-elle ? que lui est-il arrivé ? quel est son nom ? On ne sait absolument rien d'elle si ce n'est qu'elle porte une boite à laquelle elle tient comme à la prunelle de ses yeux, au point qu'elle ne la lâche pas même durant son sommeil.
Ce que contient cette boite, le chemin qu'elle semble avoir pris, le fait qu'elle semble ne rien ressentir non plus, amène Gueule de Truie à non seulement la laisser en vie mais aussi à l'accompagner .... et peut-être commencer à s'attacher à un être humain. C'est que cette mystérieuse fille semble voir derrière le masque, sous la carapace et n'éprouve pas de peur à le toucher.

"Il est tendre avec elle. Sa façon à lui d'être tendre. Soigneux. Il fait attention. Il tente de fermer la combinaison de la fille. Elle lui touche la main et la pose sur son sein, de force, jusqu'à ce qu'il la laisse, dans désir de la retirer. [...] Il prend son visage à elle dans sa main à lui, celle restée libre. Il regarde dans son regard à elle, profond. Il sait qu'elle le voit, qu'elle sait que c'est lui."

Alors débute cette quête presque insensée, de l'homme violent qui suit la fille presque muette, de l'homme qui semble s'ouvrir au monde, à son propre intérieur aussi. Car cette quête là n'appartient qu'à lui, à ce qu'il renferme profondément derrière un barrage de haine et de rage. Une quête de l'Amour aussi, pas celui physique, que l'on consomme, mais celui bien plus profond des sentiments qui font qu'un être devient humain. Gueule de Truie est aussi à cette recherche là, bien plus fortement qu'il l'aurait cru. Une façon d'exister enfin !
Alors on est en droit d'espérer que le masque, dans tous les sens du terme, tombe enfin et permette à l'humain qu'il est peut-être en phase de devenir de contempler ce monde que jusqu'à là il n'a vu qu'au travers d'un filtre et de lunettes.
Mais c'est là que le bât blesse en quelque sorte, car brutalement tout semble se démolir, revenir au point de départ ...

"Gueule de Truie se retourne et crie, une sorte de son bourbeux de douleur et de haine, de peur et de rejet. Il se rend compte qu'il a les épaules remontées et les poings durcis, pour frapper, pour détruire, plus encore qu'ils ne l'étaient quand il a tué ses Pères. Il crie du fond de la gorge, comme le cheval pisseux qu'il a tué.

Ça vient des poumons et de la chair, ça n'a pas de mots, pas de signification construite."

C'est aussi là que j'ai décroché, tout simplement parce que soit je n'ai pas compris le cheminement du récit, soit suis passée à côté mais la fin m'a laissée complètement désemparée, non pas par désespoir comme je l'avais ressenti à la fin de La Route mais par déception de l'illusion d'avoir été trompée aussi bien que Gueule de Truie sur la fin de sa quête .... Je me suis embarquée sur cette route pour au final en être dégagée aussi sec, d'où un certain sentiment de frustration et un peu l'impression de m'être faite avoir.

Il n'en demeure pas moins que Justine Niogret signe là un nouveau roman qui va au coeur des choses, dans un voyage encore plus dur et cruel que ses précédents récits, avec des personnages encore plus écorchés vif. Donc même si je suis incapable à l'heure actuelle de dire si je l'ai aimé ou non, je sais qu'il m'aura de toute façon marquée et qu'il faut le lire, absolument.
Une mention spéciale aussi à la couverture incroyable signée Ronan Toulhoat.

Ailleurs

12 commentaires:

  1. plus je vois fleurir les avis, plus je suis intriguée et plus je renâcle...

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    1. Merci de ton passage, c'était bien vide ici :(
      J'espère que tu ne seras pas déçue de ta lecture et j'ai hâte de découvrir ton avis :)

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    2. faut pas être trop pressée ^^ pour l'instant j'ai besoin de lecture légère pour finir l'hiver ;)

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  2. Moi je n'ai absolument pas envie de lire ce livre :D Pourtant j'avais beaucoup aimé Chien du heaume, mais non, pas envie pour celui ci. Et c'est pas ton avis qui me donne envie d'y aller :D

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    1. C'est sur que c'est quand même très différent de Chien du Heaume, beaucoup plus sombre mais peut être que mon billet est trop négatif aussi, par rapport à d'autres sur la blogo, c'est que vraiment la fin m'a déçue et forcément cela ressort au détriment d'autres qualités du roman.

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  3. Clairement, "Chien du heaume" et "Mordre le bouclier" lui sont supérieurs, même si ce "Gueule de Truie" ne démérite pas !
    Mais l'introspection poussée à son paroxysme, sans toujours voir où veut en venir l'auteur m'a un peu déçu. J'attendais un peu de consistance en fait, quelque chose d'un peu plus concret.
    Mais cette écriture, mmmmh... ;)

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    1. Oui voilà tout à fait d'accord avec ta première phrase et avec le reste en fait ^^
      On peut être aussi plus difficile avec une auteure dont on connait déjà la qualité d'écriture et de récit.

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  4. Je suis aussi incapable de dire concrètement si j’ai aimé ou détesté ce bouquin (il faut dire que le post-apo, c’est pas trop ma tasse de thé, non plus).
    Pourtant, j’avais vraiment accroché à Chien et à Mordre. Mais là où j’avais été prise aux tripes par l’histoire de Chien et cie, je n’ai ressenti qu’une vague empathie mêlée d’incompréhension, voire de dégoût, et alternativement d’intérêt et d’indifférence pour les personnages de Gueule de Truie. J’ai l’impression de voir un gosse qui ne peut pas s’empêcher de se gratter une croûte jusqu’au sang, par curiosité et malgré le dégoût. (Je suis pas sûre d’être compréhensible là, mais c’est l’image qui me vient à l’esprit).
    D’autre part, le côté « symbolique » commun aux trois livres est ici beaucoup plus poussé, quitte à perdre en route le lecteur.
    Pour un livre aussi court, je l’ai aussi trouvé un peu répétitif, notamment dans ses formulations, sans que cela soit non plus rédhibitoire.
    Et le personnage de Gueule de Truie m’a fait penser au Sévérian du Livre du nouveau Soleil de Teur, mais en plus « brut de décoffrage », sans ce côté pervers et manipulateur qu’à Sévérian.

    Bon, là, on dirait que j’ai détesté ce bouquin. Et ben non, en fait. Ce bouquin a indéniablement des qualités et mérite d’être lu. Bref, faites-vous votre propre opinion, je ne peux rien dire de plus !

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    1. Eh bien, voilà une réponse plus que construite et argumentée ! L'image du la croûte n'est pas fausse du tout, c'est même une métaphore qui correspond tout à fait à ce côté complètement maso qu'un homme renfermé sur lui-même.
      En accord complet avec la conclusion : il y a des qualités certaines, il faut le lire, ne serais-ce que pour plonger une bonne fois pour toute car il reste atypique mais on ne sait pas bien si on l'aime ou pas.

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  5. Je note que les chroniques des bloggeurs s'accordent sur le mot "dubitatif"... C'est le cheminement que Tigger Lilly associe à "mysticisme incompréhensible" qui me fait tiquer en fait. Au pire, je pensais l'emprunter mais je ne suis finalement plus si curieuse que ça de le lire (oui, carrément)

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  6. "avoir été trompée aussi bien que Gueule de Truie sur la fin de sa quête" -> Exactement :(

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