mardi 4 juin 2013

Ainsi naissent les fantômes de Lisa Tuttle

Dans le prologue qui précède l'ensemble de nouvelles de Lisa Tuttle, choisies par Mélanie Fazi, cette dernière livre qu'elle avait démarré son recueil Serpentine sur ces paroles :" A Lisa Tuttle, dont les livres m'ont appris que les plus effrayants des fantômes sont ceux qu'on porte en soi."
Cette phrase ne pouvait que me parler ! Ainsi que la façon dont Mélanie Fazi présente son investissement dans ce projet de mettre en avant des nouvelles de l'auteur qui a marqué son adolescente, je trouve toujours absolument intéressant lorsque les auteurs livrent leurs passions d'écriture ou ce qui les a conduit à franchir le pas du rêve à la page noircie. Mélanie Fazi, de plus, le fait de façon très sensible, très émouvante, on comprend à travers ses mots à quel point les écrits de Lisa Tuttle la touchent.
Elle conclue par "Puissent ces fantômes-là résonner en vous bien au-delà du dernier mot, tout comme d'autres, il y a plus de quinze ans, l'ont fait pour moi."

Ainsi naissent les fantômes est donc un recueil de nouvelles particulièrement frappantes d'une auteure que je ne connaissais juste que là, récemment, par Elle qui chevauche les tempêtes. Et si j'évoque ce roman c'est parce que je m'étais faite la remarque suivante :"On reconnait d'ailleurs bien la patte de Martin dans les côtés un peu rudes du récit, probablement adoucis par celle de Tuttle (dont je ne connais pas encore les écrits mais que j'ai fort hâte de découvrir), si Martin a l'habitude de ne faire aucun cadeau à ses personnages, ceux-ci semblent avoir bénéficié d'une sorte de clémence, induite par la plume de Tuttle. "
Bon eh bien il est certain que si j'avais commencé par son recueil de nouvelles avant le roman écrit avec Martin j'aurais analysé autrement ce point de vue.
Car il est évident que dans Ainsi naissent les fantômes, non seulement Lisa Tuttle ne fait preuve d'aucune clémence, mais qu'en plus elle révèle une certaine cruauté dans ses écrits qui prend à la gorge, avec un soupçon d'horreur en prime.

La première nouvelle en est la preuve absolue.

- Rêves captifs met en scène les souvenirs d'une jeune femme, enlevée enfant par un pervers sexuel, et qui s'est enfuie de manière totalement mystérieuse. C'est un récit absolument bouleversant et atroce, dont la fin m'a laissée complètement tétanisée, le livre entre les mains, c'est juste tellement horrible et abominable et qui plus est, j'étais tellement entrée dans l'histoire que je me sentais complètement dans la peau de la jeune fille. Je pourrais encore en parler longtemps de cette nouvelle , qui m'a marquée plus que toutes les autres, mais je risquerais de trop en révéler.

- L'heure en plus
"Une heure, c'est tout ce que je demande. Une heure de plus à consacrer à l'écriture dans chaque journée. Alors je pourrais finir mon livre, et ensuite ... Eh bien ce serait un début."
Qui n'a jamais rêvé d'avoir la possibilité de partir dans un temps parallèle qui permettrait de faire tout ce dont on a envie sans que le temps réel ne bouge ou si peu ? C'est ce qui arrive à cette femme qui découvre un jour une porte donnant sur un autre temps, une porte qu'elle aura envie de franchir de plus en plus souvent, jusqu'au drame.
Je me suis demandée ce que je ferais si je trouvais une porte ainsi ouverte sur le temps et le plus marrant, c'est qu'en dehors de mes premières idées de l'opportunité de lire ou rêvasser ou jouer à l'ordi avant de revenir dans mon temps pour taffer, j'ai rapidement pensé au fait de dormir. Bon c'est normal, je suis dans un état d'épuisement avancé en ce moment et je dors très mal, alors forcément cela se répercute sur mes désirs de ralentir le temps pour à la fois faire tout ce que je dois accomplir dans une journée mais aussi me reposer.
Je me suis moins sentie concernée par ce qui arrive à la femme de cette nouvelle mais j'ai beaucoup aimé cette ouverture sur un temps parallèle.

- Le remède
Un mystérieux remède s'attaque aux fonctions du langage, rendant les enfants de celles qui l'ont pris, incapables de communiquer. Ce n'est pas la nouvelle que j'ai préférée mais j'ai été touchée par le côté très émouvant de cette femme qui perd celle qu'elle aime à cause de la disparition de la faculté de communication. 
"Les mots sont magiques - c'est mon crédo depuis toujours. Les choses prennent vie lorsqu'on les formule. Mais cette magie ne fonctionne plus pour moi. Il n'existe aucun sort qui puisse t'obliger à m'entendre et te ramener à moi."
En même temps, cette nouvelle interpelle sur cette faculté qu'ont les êtres humains de passer par ce biais pour communiquer, qu'en serait-il s'ils s'en révélaient désormais incapables ? Des humains animaux dont les mots n'ont plus aucun sens, qui ne révèlent plus aucune image, peut-être pas à ce point extrême puisqu'il est prouvé que certains animaux font des liens entre paroles et images. Néanmoins quel serait notre sort si nous étions privés d'abstraction ? de pensées ? Cela donne froid dans le dos et montre à quel point ces mots que nous utilisons sans y penser tous les jours est l'essence même de notre âme d'humain.

- Ma pathologie
Une autre nouvelle flippante dans laquelle une femme bascule peu à peu dans l'horreur avant de l'intégrer par amour pour l'homme qu'elle s'est choisie. La fin est terrifiante presque au même titre que Rêves captifs. Lisa Tuttle a la capacité de nous faire plonger tête la première dans ses récits, de nous happer et ainsi de nous rendre complètement vulnérables à tout ce qui peut se produire
J'ai eu de réels frissons dans cette histoire lorsque la femme découvre cette excroissance sur la maison de son aimé et qu'elle réalise ce qui se trame, avec un côté un peu écoeurant en prime, l'auteure signe là une nouvelle digne d'un bon film d'horreur. Moi qui déteste cela et qui flippe pour un rien, j'ai été servie.

- Mezzo Tinto
Cette  nouvelle fait référence à une nouvelle de M R James que je ne connais absolument pas, ce qui m'a déroutée. Mais une fois de plus, la fin horrifique à souhait a joué son rôle. Pour autant c'est la nouvelle que j'ai le moins appréciée.

- La fiancée du dragon
Presque toutes les nouvelles du recueil portent sur des histoires d'amour dans lesquelles les femmes se trouvent être les victimes, aussi j'ai été contente de découvrir sur la fin cette très chouette nouvelle dont le personnage principal était un homme. Cela m'a soulagée même, je finissais par trouver un peu dommage que ce soit toujours la femme qui se fasse piéger, dans des histoires d'amour un peu sordides.
Le fiancée du dragon, la plus longue de toute, conduit l'intrigue jusqu'en Angleterre dans l'antre d'une bête reptilienne mystérieuse. Il y a un côté très glauque dans cette nouvelle, probablement parce que les lieux s'y prêtent, des endroits imprégnés d'une sorte de magie malsaine ou de sorcellerie, bien loin de celle d'un Harry Potter, plutôt digne de ces sorts de magie noire, qui restent dans un certain implicite ce qui angoisse encore plus. La fin est digne du tout. C'est ma préférée de toute.

Ainsi voici achevée ma découverte de Lisa Tuttle, auteure à la plume qui captive et angoisse. Ce n'est pas palpable, cela reste intérieur, au plus profond des êtres qu'elle met en scène et du coup l'horreur est beaucoup plus puissante. 
Cela m'a fait penser au Horla où la montée de folie est très progressive jusqu'au point de non retour et bien évidement à King mais en beaucoup plus subtil et sensible.
En tout cas un recueil qui m'a marquée. C'est excellent.
Merci à Tigger Lilly qui me l'a offert pour mon anniversaire ^^

Ailleurs

14 commentaires:

  1. J'avoue que la première nouvelle est aussi celle qui m'a le plus marquée. Un grand recueil, une grande dame.
    je te conseille Le Vieux Monsieur Boudreaux qui est une nouvelle à télécharger gratuitement sur le site de Dystopia !

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  2. Bon je suis contente que tu aimes ce recueil :)
    Quand j'ai lu la première nouvelle, j'ai reposé le livre quelques temps parce que c'était très fort et aussi parce que j'étais vraimen mal à l'aise. J'ai particulièrement aimé le remède, ma pathologie a quelque chose d'inquiétant aussi. A l'inverse de toi, La fiancée du dragon est celle qui m'a le moins plu tant pour l'histoire (il me reste des questions) que par la manière dont le tout est emmené.

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    1. La première nouvelle est juste terrifiante et c'est vrai que l'on reste un bon moment sans réaction, je me suis demandée comment l'auteure avait pu écrire un truc pareil, j'étais tellement dedans que je me suis dit ce n'est pas possible d'infliger un tel truc à vie à son personnage ! Je crois que cette nouvelle va me poursuivre longtemps.

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  3. Je pense qu'on a tous eu la même réaction à la lecture de la 1ère nouvelle, moi aussi j'ai fait une pause le temps de la digérer (j'ai fais la même chose pour certains textes dans un autre recueil que j'ai lu d'elle).
    Ravie que ta lecture t'ait plu en tout cas !

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  4. Il n'y a que le remède qui ne m'a pas convaincu. Les ambiances variées des autres nouvelles m'ont beaucoup plu. Il faut que je lise le roman de Tuttle qui est dans ma PAL, comme d'habitude d'ici 2 jours à 3 ans ou un truc dans cette idée.

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    1. Le remède n'est pas ma nouvelle préférée non plus.
      Ah ah entre 2 jours à 3 ans, il y a de la marge, xd

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  5. Je fais le chemin inverse, d'abord cet excellent recueil pour ma part et il me tarde de m'offrir Elle qui chevauche les tempêtes, Martin et Tuttle réunis, ça fait baver!

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  6. Bien contente que cela t'ai plu ! Une lecture qui m'a vraiment marquée.

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    1. Cela m'a beaucoup plu oui, je crois que je ne suis pas prête d'oublier la première nouvelle OMG !

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  7. je partage ton point de vue (et tu as tout à fait raison : Lisa Tuttle ne fait aucun cadeau à ses persos même si elle les flingue moins vite que Martin^^)
    Un recueil glaçant oui. Contente que tu aies aimé aussi !

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    1. Glaçant c'est tout à fait le mot, il est vrai qu'elle est impitoyable avec ses personnages cette auteure !

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