vendredi 17 août 2012

Une prière pour Owen de John IRVING

"Si je suis condamné à me souvenir d'un garçon à la voix déglinguée, ce n'est ni à cause de sa voir, ni parce qu'il faut l'être le plus petit que j'ai jamais connu, ni même parce qu'il fut l'instrument de la mort de ma mère. C'est à lui que je dois de croire en Dieu ; si je suis chrétien, c'est grâce à Owen."

C'est à Toronto que John Wheelwight, professeur de lettres célibataire, rédige ses souvenirs d'enfance et d'adolescence passés avec son meilleur ami, Owen Meany, un enfant atypique, à la fois surdoué et fou, convaincu qu'il est devenu l'instrument de Dieu et qu'il sait la date et les circonstances exactes de sa mort. Slalomant entre sa vie actuelle au Canada en 1987 et celle qu'il a passée en Nouvelle Angleterre, à Gravesend, à partir de 1952, John livre sa conception de l'Amérique, de la guerre du Vietnam et de la religion, la sienne et évidement celle d'Owen qui l'a secondé durant toutes ces années.
Dire que leur amitié a commencé alors que John et ses amis s'amusaient à porter et à se passer le minuscule Owen en l'air durant les cours de catéchisme, qu'elle a perduré malgré la mort de la mère de John, suite à une balle de base-ball malheureuse, et a pris de l'ampleur au fil des années, au point que le petit porté est devenu celui qui porte. Sans Owen, John Wheelwight, enfant normal et relativement banal, normal en somme, avec des difficultés scolaires, ne serait pas devenu ce qu'il est, n'aurait pas évolué de la même manière : " Owen Meany m'a procuré des sensations fortes pour toute une vie". Du petit enfant que chacun avait envie de porter, de câliner comme une poupée, Owen est devenu LE guide dont l'on respecte les choix et les décisions.

Les relations que l'on entretient avec les romans peuvent être surprenantes, aussi atypiques qu'est celui-ci.
Je l'ai démarré en sortant de La Ballade de Pern, j'ai la sale manie, après un livre que j'ai adoré, de me plonger dans de la littérature générale, afin d'une part de me sevrer complètement de l'univers fantasy et d'autre part, de ne pas risquer de tomber sur un autre livre de fantasy qui risque de faire pâle figure.
C'est un choix pour le moins douteux lorsque l'on sait que cela ne me réussit pas toujours, la plupart du temps, le choc de la différence littéraire fait que j'ai beaucoup de mal à retomber sur terre et à apprécier ce que je découvre alors.

Ce fut évidement le cas avec Une prière pour Owen, au point qu'au bout de 200 pages je me suis dit que j'allais laisser tomber et rédiger mon billet en annonçant que j'avais renoncé à connaître le dénouement d'une histoire qui ne semblait pas démarrer, qui m'accrochait de temps en temps mais faisait retomber mon enthousiasme quelques pages plus tard.
Heureusement, mon incapacité à respecter le troisième droit imprescriptible de Daniel Pennac - à savoir "le droit de ne pas finir un livre" - a encore joué en faveur du roman d'Irving. En même temps si je n'ai pas voulu céder à l'abandon c'est parce que j'avais lu, il y a quelques années Le monde selon Garp que j'avais profondément aimé. Ainsi j'ai poursuivi et bien entendu je me suis laissée prendre par Une prière pour Owen, ce roman dense et au final passionnant, au point que je ne sais même plus vraiment pourquoi je n'ai pas accroché dès le début.
Je vais mettre cela sur le compte de l'après Pern.

Un roman dense à plusieurs points de vue :

- les personnages en premier lieu, en particulier Owen, forment le grand intérêt de cette histoire. A plusieurs reprises je me suis interrogée sur Owen, est-il un génie ? un schizophrène ? un génie possédé ? 
Probablement un peu les deux, un surdoué cela est sûr, capable d'être visionnaire sur sa propre disparition mais aussi sur l'évolution de la jeunesse : "NOUS AURONS UNE GENERATION QUI REFUSE D'ENVISAGER L'AVENIR, ET PEUT-ÊTRE DEUX GENERATIONS QUI SE FOUTENT DE TOUT", capable de détecter la dyspraxie de son meilleur ami et d'y remédier (le cache pour l'aider à lire entre autres) , d'écrire la vérité sur le Vietnam mais aussi sur l'enseignement. Néanmoins en contrepartie un drôle de petit bonhomme, défavorisé, fils d'une mère totalement cinglée, de parents qui ne s'occupent guère de lui et le laissent tout faire (on comprend mieux pourquoi à la fin lors de la révélation sur sa naissance étrange), en proie à des comportements ritualisés et fétichistes (sa manie de garder les griffes de l'armadillo, jouet de leur enfance ou le mannequin de la mère de John, bien qu'en premier lieu ce soit essentiellement pour protéger de la douleur son ami), persuadé que tout est joué, que Dieu contrôle ses gestes, qu'il en est l'instrument. 
Et aussi cette taille anormalement petite, cette voix incroyable qui fait qu'il est toujours entrain de hurler pour se faire entendre (paroles retranscrites en lettres majuscules par l'auteur pour traduire justement cette Voix si particulière), Owen est presque un extraterrestre, un héros qui a admis la nécessité de sa propre mort si c'est pour sauver les autres. Et qui en tout cas les dirige dans la direction qu'il a décidé, sous l'action de Dieu ou non, de prendre.

- c'est une sacré critique de la société américaine, notamment de ses dirigeants qui s'en prennent plein les dents, Irving règle ses comptes avec l'Amérique et particulièrement par rapport aux choix faits lors de la Guerre du Vietnam.

"Que savent les Américains de la moralité ? Ils n'admettent pas que leurs présidents aient des pénis, mais se moquent que leurs présidents se débrouillent pour soutenir en secret les rebelles du Nicaragua, malgré l'opposition du Congrès ; ils refusent que les présidents trompent leurs épouses, mais s'en fichent si leurs présidents trompent le Congrès, mentent au peuple et violent la Constitution du peuple !"

Une société américaine des années 60 qui vit l'arrivée de la télé dans les foyers et dont l'assassinat en direct de Kennedy marquera le tournant d'une réalité à la portée de tous via les médias.

La religion en prend aussi pour son grade, de façon sarcastique mais aussi humoristique. Je ne suis pas prête d'oublier la scène de la préparation de la crèche qui frise le ridicule pathétique.
" Quant à l'Enfant Jésus, c'était l'apothéose. Les Wiggin exigeaient que le bébé ne moufte pas et, dans ce but, ils stockaient, implacables, des dizaines de bébés dans les coulisses : au premier gazouillis, au premier vagissement sacrilège, l'Enfant Jésus était viré de la crèche, aussitôt remplacé par un bébé muet ou du moins amorphe. Pour cette manutention express de lardons frais, une file d'adultes patibulaires, planqués dans l'ombre de la chaire derrière les tentures pourpres, demeuraient aux aguets."
Il ne dénonce pas la religion en elle-même mais ce que les gens en font, le fanatisme derrière ils se cachent pour justifier leurs actes.
"Regardez autour de vous ; voyez combien de nos incomparables leaders prétendent savoir ce que Dieu veut. Ce n'est pas Dieu qui déraille, mais les bons apôtres qui affirment croire en lui afin de mener le monde à sa perte en son nom !"

- à travers son roman rédigé comme une autobiographie de son personnage principal, Irving nous tient en haleine, nous tient entre ses griffes, nous amenant à une fin à la fois prévue mais difficilement anticipable. Une fois dans les rouages de son récit, on ne peut plus reculer : il faut aller jusqu'au bout et accepter la réalité.

Voilà qui signe ce roman aux abords un tantinet fantastique (ces endroits hantés, ces objets qui semblent prendre vie, les personnages qui anticipent leur fin) qui dénonce le rêve américain et le problème de la Divinité en une claque magistrale. Je l'ai fermé avec la sensation étrange que je venais de passer un drôle de moment de lecture que je ne suis pas prête d'oublier.
Un roman incroyable.

Extraits
"La mémoire est un monstre : vous oubliez ; elle, non. Elle se contente de tout enregistrer à jamais. Elle garde les souvenirs à votre disposition ou vous les dissimule, pour vous les soumettre à la demande. Vous croyez posséder une mémoire, mais c'est elle qui vous possède."

"Quand meurt, de façon inattendu, une personne aimée, on ne la perd pas tout en bloc ; on la perd par petits morceaux, et ça peut durer très longtemps. Ses lettres qui n'arrivent plus, son parfum qui s'efface sur les oreillers et sur les vêtements. Progressivement, on additionne les pièces manquantes. Puis vient le jour où l'un de ces petits manques fait déborder la coupe du souvenir ; on comprend qu'on l'a perdue, pour toujours .... Puis vient un autre jour, et une nouvelle petite pièce manquante."

" Je suivis donc leurs regards. Le soleil avait disparu mais des trainées rouge vermillon coloriaient le ciel immense et, à travers elles, je distinguai l'avion d'Owen - comme si, où qu'aille Owen Meany, il fallait qu'une lumière céleste l'accompagne."

Ailleurs




8 commentaires:

  1. Roh, un jour tu arriveras bien à abandonner un livre ^^ Bon, a priori, pour ce livre, tant mieux que tu n'aies pas renoncé, mais un jour, faudra te forcer :P

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    1. Oui hein ? xD Cela dit heureusement que je n'y suis pas arrivée pour celui-ci, je savais au fond de moi qu'il valait le coup, lol

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  2. Rha là là, je suis contente que tu te sois accrochée et que tu aies au final beaucoup aimé ce livre.

    "Owen est presque un extraterrestre" et puis ça c'est juste énorme , c'est exactement ça.

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    1. Oui je me doutais que tu serais contente :)
      C'est effectivement un très grand livre au final ^^

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  3. Endea, j'ai oublié de vous dire que je suis navré de vous aborder de cette manière, mais j'ai été incapable de trouver où vous contacter.
    Je profite donc que vos commentaires sont filtrés par le mode modération pour vous contacter par ce biais. Vous le supprimerez si nécessaire.

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    1. Effectivement je vais supprimer votre post précédent qui ne rentre pas dans le cadre de ma conception du blog.
      En effet, être remarqué par des maisons d'Edition peut être flatteur, cela dit lorsqu'il s'agit de démarcher pour demander de lire un livre en e-book pour lequel il faut débourser de l'argent, je suis beaucoup plus réticente.
      Sans compter que pour l'instant mon plaisir de lecture passe par le livre réel et non par la tablette.

      D'autre part la présentation de votre roman ne me séduit pas particulièrement et je pense que Christophe Paul n'est pas le seul à rompre avec le scénario traditionnel de thriller, il suffit de lire quelques uns de mes billets concernant un auteur français qui sait à merveille écrire du thriller, je cite Ayerdhal.
      Néanmoins je ne porte pas de jugement sur l'auteur que vous présentez, n'ayant jamais rien lu de lui, je laisse à d'autres le plaisir de le découvrir.
      Cordialement

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  4. Un livre qui traine depuis un moment dans ma PAL, je vais l'amener pour mes futures vacances je pense, son contenu m'intrigue !

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