De cette auteure, je peux me targuer
d'avoir lu tous ses romans, de l'exceptionnel Chien du Heaume, en passant par
l'étrange Gueule de Truie, sans oublier le très bon Mordre le bouclier et le très intelligent et touchant Coeur de rouille.
J'aime depuis le début l'écriture
ciselée, poétique et sombre d'une femme qui sait aller au fond des choses, avec
beaucoup de sensibilité mais aussi beaucoup de noirceur et quelquefois de
cruauté.
Mordred ne fait pas exception, le
ton est cru, frappant et allant droit au but comme dans Chien Du Heaume.
De Mordred, dans la légende arthurienne, on ne
connait que son côté obscur, celui qui trahit Arthur et le tua. Loin de souscrire
à cette histoire, Justine Niogret nous présente un personnage, un chevalier,
qui alité suite à une blessure au dos qui le fait atrocement souffrir, replonge
dans son passé, son enfance, sa formation de chevalier et ses batailles, ainsi
que ses liens étranges mais forts avec son oncle-père Arthur, nous entraînant à
la suite.
Rien ou presque de la geste
d'Arthur dans ce roman, point de Viviane ou de Merlin, ni de Lancelot, à peine
un bref passage éclair de Guenièvre, pas
de référence au Graal .... On se trouve dans un règne en bout de
souffle, Arthur a vieilli, il est malade, proche de la mort, il fait de courtes apparitions, lui, mais toujours
du point de vue de Mordred dont le geste de "trahison" prend alors
tout son sens.
En réalité tout est entièrement
centré sur ce dernier et son lit de douleur .... Tout le roman se tient dans
cette introspection que se livre cet homme secret et silencieux, peu lié aux
autres, si ce n'est à sa mère Morgause dont il a hérité l'amour et la
connaissance des plantes et le respect de la nature ..... sa mère qu'il n'a
jamais revu depuis son départ en selle avec Arthur qui l'amène vers son destin
de chevalier. Un homme rongé aussi par cette espèce d'être malsain, Polik qui
s'accroche à lui, déversant son venin, symbolisant tout ce qui est souffrance
et regret en lui.
Justine Niogret, une fois de
plus, nous offre tout un artifice de son style terriblement cru et réaliste.
Comme on l'avait déjà compris dans Chien du Heaume, c'est le véritable Moyen
Age qu'elle nous offre et non celui enjolivé par les exploits des chevaliers
qui estompe la noirceur d'un monde à l'obscurantisme redoutable. Et les mots
percent comme des flèches, atteignant le lecteur aussi brutalement que la lance
dans le dos de Mordred que l'on sent nous aussi percer le cuir du troussequin
avant de s'enfoncer dans la chair tendre du corps.
Ce corps décrit ainsi comme une
enveloppe fragile et dégénérée, capable de vous mettre plus bas que terre
"Et Mordred lui aussi se
rendit compte qu'il se sentait trahi par cette douleur qui le rongeait, cette
tristesse de la chair, il haïssait d'avoir compris enfin ce que disaient les
prêtres à propos de la viande du corps, à peine allouée quelques instants à
l'humain ; promise à la mort, à la déchéance ; à peine sortie du ventre, elle
pourrissait déjà. Sac de viande abritant les pensées, l'espace d'un lent
battement de coeur. Rien. Le corps ne servait à rien. On le pensait, on le
croyait en imbécile ; on le trouvait beau, agréable, on osait s'en vanter, le
voir en vaisseau porteur de joie, et un jour il cassait, et il se révélait vain
et creux autant qu'une conque, qu'un cor de guerre ; seul le souffle l'anime,
et sa structure n'est rien qu'un cadavre."
Si l'auteure ne fait qu'à peine
référence aux personnages clé de la légende arthurienne, c'est pour mieux
centrer son propos sur son unique personnage. On n'a le droit qu'à très peu de
description de lieu (sauf des endroits naturels de l'enfance de Mordred, vécus
comme un rêve magnificié encore plus par son mal ressenti), tout tourne autour
de Mordred, de ses pensées, de ses rêves, de ses souvenirs et ses douleurs. On
ne peut en réchapper, on subit comme lui les affres de ses tourments, au point
que j'en suis arrivée à craindre chaque ligne qui décrirait encore et encore
ses terribles douleurs. J'en avais mal rien qu'en les lisant. (Ne parlons même
pas de l'opération, j'en tremblais d'avance avant de respirer de soulagement en
me rendant compte qu'il en sentirait presque rien).
Et paradoxalement, elle y oppose
toute l' enfance poétique, belle et sereine d'un petit garçon qui vit en
harmonie avec la nature. Une nostalgie qui permet de reprendre son souffle et
de gagner un peu de répit avant de replonger dans la souffrance et la solitude.
En même temps, Justine Niogret a
cette fabuleuse capacité de savoir mettre les mots exacts sur la vie, sur les
êtres humains, sur ce qu'ils sont réellement, même s'ils se cachent et
feignent. Elle les passe au crible et les fait se révéler :
"On se moque les uns des
autres. Les êtres ont une telle envie, un tel besoin de marcher sur les doigts
de ceux qui les accompagnent dans ce petit monde, de les pincer pour se voir leur
faire mal. Se sentir fort."
"De même, il se tenait les
épaules lourdes, et il faudrait encore des années à Mordred pour comprendre
qu'on porte avec soi une part de sa vie, des choses dont on ne sait se
débarrasser ; et même lorsqu'on y parvient, on soutient le poids du travail
accompli, et du deuil, et des quêtes perdues et du mal qu'on l'on a fait sans
le vouloir."
"Parfois, on note ces bêtes
comme gigantesques, énormes, des baleines vautrées sur la terre. Peut-être le
monde a-t-il besoin de géants pour se faire encore peur. Peut-être a-t-il
oublié les vents coulis des portes en hivers, et les rats pourrissant les sacs
de grain, et la morve au nez qu'on ne parvient pas à soigne, et le coeur qui
cogne quand on doit courir, et le poignet cassé qui ne se remet jamais tout à
fait. Le cheval qui boite, qu'il faudra tuer avant qu'il ne souffre trop, et la
mercenaire sur le chemin, qui cherche encore la guerre. Ces petites choses qui
rendent la vie terrible, ces riens qui terrorisent, encore et encore. Peut-être
leur faut-il des montagnes terribles, maintenant, des éclatements de lumière
pour entendre la peine et le risque."
C'est exactement pour cela aussi
que j'aime ce qu'écrit Justine Niogret, car sa justesse des mots me va droit au
coeur. Mordred est encore un très bon cru, que je ne mets certes pas à la
hauteur de Chien du Heaume, mais juste derrière. A lire, c'est du très bon !
Ailleurs
Tigger Lilly ; Lorhkan ; Lhisbei
; Efelle ; Julien Naufragé ; Gromovar ; Xapur ....
Entre dans le cadre du Challenge SFFF au féminin de Tigger Lilly.
L'abstraction totale de tout ce qui n'est pas Mordred et uniquement lui m'a quand même un brin dérangé.
RépondreSupprimerJe sais bien que Justine Niogret a toujours orienté ses écrits sur les personnages plutôt que sur les "scénarios", mais il restait une ambiance qui jouait beaucoup sur l'appréciation que j'avais de ses romans (je continue de penser que "Chien du heaume" est une merveille et que "Mordre le bouclier" n'en est pas loin).
Sur "Mordred", le concept est poussé à l'extrême, un peu trop pour moi du coup...
Oui je me souviens avoir lu ceci chez toi, c'est vrai que c'est très très centrée, vraiment à huit clôt. Je suis d'accord avec toi pour Chien du Heaume, c'est un véritable chef d'oeuvre, après même si j'ai énormément aimé Mordre le bouclier, je crois que Mordred est un petit cran juste au dessus ^^
SupprimerIl est dans ma liseuse, faut vraiment que je pense à le lire un de ces 4 !
RépondreSupprimerOui il faut :)
SupprimerLes nombreux avis positifs donnent envie, mais je le redoute un peu ce livre! Peut-être si je le revois à la bibli un jour où je n'ai pas déjà les bras chargés... :)
RépondreSupprimerSI tu n'as jamais lu Justine Niogret tente avec Chien du Heaume il est exceptionnel. Et tu rentreras ainsi dans son style d'écrit.
SupprimerUn bon livre très bien écrit. Pas un coup de coeur pour moi mais un bon moment de lecture.
RépondreSupprimerPas un coup de coeur non plus, il ne vaut pas Chien du Heaume mais un excellent livre effectivement.
SupprimerCe livre est dans ma Wishlist car je ne connais pas très bien ce personnage. Je l'ai rencontré pour la première fous dans "faucon de mai" de Bradshaw (il s'appelle alors Gwalchmai).
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