lundi 12 août 2013

Abzalon de Pierre Bordage

Esther est une planète au bord du gouffre : démographie galopante, épuisement des gisements, pollution de l'air et de l'eau etc ... La seule solution consiste à rechercher une nouvelle terre aux caractéristiques conformes à celles de la planète mourante. Ainsi l'Estérion est-il conçu pour traverser l'univers dans un voyage de douze années lumières de distance, soit une durée de 120 ans. Tout est savamment construit pour que le vaisseau fonctionne en autarcie complète durant ce temps, pour qu'il amène ses occupants à destination ... Seul reste un facteur imprévisible : celui humain.
Parce que les voyageurs de l'Estérion consistent en 5 000 détenus du pénitencier de Doeq - au préalable sélectionnés impitoyablement dans des conditions inhumaines - et 5 000 Kroptes. Autant dire des milliers de chats face à quelques souris, des hommes violents, hargneux, des tueurs de la pire espèce face à des fanatiques pacifistes. Tout est prévu pour qu'ils ne se rencontrent pas, tout du moins pas avant un certain temps mais c'est sans compter sur le facteur humain justement qui est tout sauf maitrisable.
Abzalon fait partie de l'élite des tueurs, il a massacré des dizaines de femmes, Ellula, elle est une jeune Kropte que l'on marie contre sa volonté et dont les rêves révèlent de curieuses prémonitions .... Ces deux-là, partis comme cobayes sur l'Estérion, finiront par se rencontrer ....

Je reste toujours un peu mitigée face aux romans de Pierre Bordage que par ailleurs j'apprécie beaucoup en tant qu'auteur, notamment pour son fabuleux Les fables de l'Humpur. C'est un excellent conteur, on ne s'ennuie absolument pas dans ses romans, de plus il a développé dans celui-ci un huit-clos bien particulier : imaginez vous passer 120 ans de votre existence confinés dans des pièces d'un vaisseau, condamnés à ne voir que du gris, plus jamais de ciel, de lumière naturelle, de soleil ..... de plus à quelques couloirs de criminels qui n'ont qu'une loi : tuer avant d'être tués, violer tout ce qui bouge et s'emparer de tout ....

Etrangement pourtant ces hommes vont être amenés à mettre leur violence de côté, à apprendre à vivre ensemble et surtout à côtoyer des femmes kroptes, voire fonder des familles, mettre au monde des enfants, les élever et se ranger .. Tout un cheminement qui leur aurait été impossible s'ils étaient restés dans leur pénitencier.
C'est le côté vraiment passionnant de récit : observer la transformation de ces individus livrés à eux-même, leurs organisation, leurs découvertes (en particulier celle des Qval, peuple étrange vivant dans les cuves bouillantes de l'Estérion, doué de capacités mentales extraordinaires) et surtout l'impact du choc de la rencontre entre des êtres que tout oppose (c'est d'ailleurs un instant clé de l'histoire).
Un immense laboratoire contrôlée par des mentalistes qui pensaient avoir tout prévu ... Cela donne froid dans le dos.

Après ce qui me gêne, comme ce fut souvent le cas en lisant Bordage, ce sont ses personnages, je l'ai déjà dit à mainte reprise, ils sont froids, ils le sont tellement qu'il est très difficile de s'identifier à eux, voire même de les aimer. Déjà en premier lieu Abzalon est un salaud de la pire espèce, on n'a vraiment pas envie de s'attacher à lui, qu'il devienne presque un saint ne suffit pas à le racheter, de plus c'est presque improbable (même sou influence de l'amour) .. tout comme est improbable un amour entre celui qu'on pourrait taxer de Bête et Ellula, la Belle, tout le contraire d'Abzalon : douce, gentille, patiente ... De plus c'était tellement prévisible que j'aurais désespérément eu envie que cela n'arrive pas.
Bon certes les opposés s'attirent, une fois l'alchimie opérée, cela ne m'a plus dérangée ... Restent les personnages et leur froideur, cela me perturbera toujours dans les écrits de Bordage.

Heureusement le roman m'a suffisamment plu, pour les raisons expliquées auparavant pour que je décide de poursuivre avec sa suite Orchéron.

Extrait
J'aurais retenu, de l'aventure de l'Estérion, que l'être humain oscille en permanence entre le sublime et le grotesque, entre le haut et le bas, entre le divin et le bestial. Pour nous dissuader de nous vautrer dans nos instincts animaux, nous élaborons toutes sortes de symboles, de mythes, de religions et de morales censés servir de garde-fous, nous suivons les chemins tracés par les prophètes et les saints, nous jalonnons notre existence de cérémonies et de rituels, nous confions les clefs de nos âmes à ceux qui se proclament intermédiaires et nous obtenons le résultat inverse de celui que nous escomptions.
Nous nous coupons de nous-même ; notre nature animale, reléguée dans les oubliettes, grandit à notre insu, se nourrit des déceptions, des frustrations engendrées par l'impossibilité d'atteindre l'idéal prôné par les prophètes et les saints.
[...] Nous avons peur de l'autre  parce que nous avons peur de nous-même, nous aimons l'autre parce qu'il nous donne une image flatteuse de nous-même, nous haïssons l'autre parce que nous ne nous reconnaissons pas en lui.

Ailleurs

Lu dans le cadre du Challenge de Lhisbei, le Summer Star Wars


4 commentaires:

  1. Il m'a toujours un peu tenté celui-là mais je n'ai jamais franchi le pas. il faudra quand même que je me penche dessus un de ces jours

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  2. Moi j'ai vraiment adoré ce roman, pas autant que Wang ou Les Fables de l'Humpur, mais pas loin !

    Mais bon, je n'ai jamais trouvé les personnages de Bordage froids, ce n'est peut-être pas son plus grand talent, mais j'ai beaucoup apprécié Tixu, Véhir, Tia, Abzalon...Ellula est un peu trop parfaite, je te l'accorde !

    Et comme toi, j'ai adoré cet univers confiné et bien pensé, ses mystères...

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    1. Ah oui les Fables de l'Humpur, c'est du best de best, je n'ai pas lu Wang.
      C'est marrant la perception différente que l'on peut avoir des personnages d'un individu à l'autre, mais en temps c'est aussi ce qui fait le charme des différents avis ^^

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