samedi 6 décembre 2014

La séparation de Christopher Priest

"Que s'est-il réellement passé dans la nuit du 10  au 11  Mai 1941, cette nuit où Rudolf Hess s'est envolé d'Allemagne pour négocier la paix avec la Grande-Bretagne ?"
C'est lorsque l'historien Stuart Gratton se penche sur  cette question qu'il va découvrir au travers le destin incroyable de deux frères jumeaux des faits incroyables sur ce pan d'Histoire dont on ignore beaucoup de choses .....

Un peu d'Histoire pour commencer .... le 10 Mai 1941, la Lufwaffe lance une nouvelle offensive contre l'Angleterre, c'est le plus fort bombardement jusqu'ici. En même temps, Rudolf Hess, le bras droit d'Hitler, décolle d'Allemagne à bord d'un BF 110 et saute en parachute au- dessus de l'Ecosse. Fait prisonnier par les Anglais, il demande à rencontrer le Duc Hamilton afin de lui proposer un traité de Paix entre les deux pays belligérants .... or visiblement il ne représente aucune position officielle allemande ......
"Si j'échoue, vous pourrez toujours déclarer que je suis fou", aurait-il écrit à Adolf Hitler le jour de son décollage .....

Christopher Priest part de ce fait non expliqué à l'heure actuelle pour monter son récit à résonnance uchronique : Et si Rudolf Hess était parvenu réellement à proposer ce traité de paix sous le couvert d'Hitler ? Et si Winston Churchill avait accepté ? Et si Hitler ignorait les intentions de son bras droit ?
Toutes ces interrogations sont développées au travers la vie de deux frères, qui dans leur jeunesse, en gagnant la médaille de bronze (en aviron) aux JO de 1936 avait déjà rencontré Rudolf Hess avant de poursuivre, chacun de leur côté, un chemin qui désormais allait les séparer.
L'on suit déjà Jack Sawyer qui, pilote de la RAF,  participera à de nombreux bombardements allemands avant d'être abattu et, une fois sur pied, rattaché à l'équipe de Winston Chruchill afin de déterminer si un mystérieux prisonnier est bien celui que tout le monde croit ... ou bien un double ?
En parallèle, au travers les recherches du journaliste Stuart Gratton et les témoignages recueillis auprès de plusieurs personnes, on suit le destin de l'autre jumeau, Joe, qui, objecteur de conscience s'enrôle à la Croix Rouge avant d'être victime d'un bombardement ..... pour se retrouver un peu plus tard au coeur même des négociations entre Rudolf Hess et Winston Chruchill ...

Sauf que l'on avait appris entre temps que Joe était décédé lors de cet accident .... tout du moins c'est ce que croit son frère ..... Alors où se trouve la vérité ? le Hess du premier jumeau est-il plus réel que celui du second jumeau ? Lequel des frères aura trouvé réellement la mort ? Que c'est-il passé cette nuit du 10 Mai, le traité a-t-il abouti ?
Christopher Priest -je l'avais déjà constaté dans Le Prestige - est un incroyable prestidigitateur .... en tirant des ficelles invisibles, il nous emmène là où il le souhaite, masquant ou dévoilant tour à tour des vérités qui se révèlent ensuite fausses .... ou vraies .... Combien de fois suis-je revenue en arrière pour voir si un détail ne m'avait pas échappé en lisant de nouveaux témoignages avec cette sensation que le récit sombrait peu à peu dans une folie qu'il était impossible de déterminer ?
Le plus étrange c'est qu'en lisant en premier le récit de Jack, on prend tellement pour argent comptant que son frère est mort que lorsque ce dernier prend à son tour la parole dans un journal qu'il tient les mêmes mois on sent qu'il délire ou qu'il hallucine .... ne serais-ce que parce qu'il vit les mêmes scènes plusieurs fois avec des chutes différentes à chaque fois ..... jusqu'à ces hallucinantes négociations qui aboutissent entre les deux pays en guerre ...
Trop facile pourrions-nous dire, c'est le deuxième frère qui fabule, il est réellement mort .... sauf que Priest détient le pouvoir du magicien ... et ce en quelques mots que je ne suis toujours pas parvenue à démêler ... Après l'abattement de son bombardier, Jack Sawyer se retrouve à bord d'un canot de sauvetage avec l'un de ses hommes Sam Levy .... sauf que lors du récit de ce dernier, on apprend qu'il était seul à être secouru et qu'il n'a jamais revu son pilote .... Du coup se pose à nouveau la question de savoir où  se trouve la vérité et le mensonge, la folie ou le sensé ?
C'est du grand art, de plus servi par un récit qui ne souffre d'aucune lenteur ou ennui, qui nous interpelle par les faits racontés, nous interroge et nous remet en question ..... C'est brillant, vraiment ...

L'autre grande qualité de ce roman se trouve dans les questions qu'il nous amène à se poser .... Et si réellement il y avait eu un traité de paix entre l'Allemagne et  l'Angleterre, comment se serait achevés cette guerre ? L'Est en aurait-il fait les frais ? Le sort des Juifs aurait été différent ? Quel aurait été notre avenir ? Et aujourd'hui, qu'en aurait-il été ?
Cela me rappelle la conférence aux Utos sur La SF nous aide-t-elle à comprendre l'Histoire ? Sur le fait qu'une uchronie pouvait être un bon outil pour comprendre l'Histoire au travers de ce qui AURAIT pu se passer.
L'autre questions essentielle se situe sur les raisons même d'une guerre de cette envergure, notamment en ce qui concerne les bombardements ... Jack Sawyer lui-même, bien qu'en première ligne et décidé à en découdre avec l'ennemi, se demande pourquoi l'on bombarde sans cesse les civils alors que le but serait plutôt d'affaiblir les points stratégiques ? Quels sont les buts véritables des dirigeants ? Affaiblir une défense pour vite achever le conflit ou traumatiser à ce point les civils que ces derniers, dans leur soif de réparation et de vengeance, gardent toute confiance en leurs gouvernements respectifs dans leurs choix de faire le plus de mal aux barbares d'en face ? C'est vraiment la question qui m'a heurtée le plus dans ce roman .... Sans oublier que l'aspect historique, au détour de l'uchronie subtile ou du rêve éveillé, nous fait entrer dans une partie de ce conflit pas forcément mis en avant dans son étude : les bombardements eux-même, la vision qu'en ont les pilotes, leurs peurs et angoisses, leurs victoires tempérées par les visions des villes en flammes qu'ils laissent derrière eux .... et l'utilité de tout ce gâchis ....

Un grand livre, vraiment ! Il fut récompensé  par le Prix de la British Science Fiction Association, le Prix Arthur C Clarke et le Grand Prix de l'Imaginaire.

Extrait
Les démocraties prétendent prendre les armes pour redresser des torts ou établir entre les peuples des relations paisibles, alors qu'elles veulent juste protéger leurs droits acquis, leurs investissements financiers, et étendre leur influence politique. Les tyrans prennent les armes, soi-disant pour régler un différend ou reconquérir des territoires perdus, mais tout ce qu'ils veulent, c'est conserver un pouvoir illégal sur leur propre peuple.
L'histoire montre aussi que peu importe l'issu du conflit : répondre à la violence par la violence sème forcément la graine d'une violence future, parce que la violence elle-même distord le résultat.

Ailleurs

4 commentaires:

  1. Fort intéressant et intrigant! Mais j'ai l'impression que je serais un peu perdue, ça semble ambitieux comme lecture.

    RépondreSupprimer
  2. Il est trop bien ce bouquin. Tu me donnes envie de le relire.

    RépondreSupprimer
  3. Ahah, je me faisais la même réflexion que Tigger Lilly : j'ai envie de le relire aussi maintenant :D

    RépondreSupprimer
  4. Tiens, ça semble drôlement tentant ça... Je ne connais pas du tout ce roman de l'auteur.

    RépondreSupprimer