dimanche 22 avril 2012

Chroniques des rivages de l'Ouest : pouvoirs, d'Ursula le Guin

"Les gens des marais ont des pouvoirs, et les habitants des cités en ont peur. Voilà pourquoi nous ne parlons jamais de ce que nous sommes capables et qui leur est impossible. Ce serait très dangereux. Promets-le moi Gav.
Ma soeur me tendit la main, paume en l'air. J'y posai ma patte crasseuse pour prêter serment.
- Je promets."

Le don de Gavir est double : il peut à la fois entrevoir des fragments de l'avenir mais aussi sa mémoire est tellement extraordinaire qu'il retient sans effort tout ce qu'il lit (oh comme j'aimerais posséder ce don !). Seulement lorsqu'il était bébé, il fut enlevé à son peuple, avec sa soeur, pour devenir esclave à Etra. 

Trop jeune pour se souvenir de son passé, il se satisfait de cet état des choses jusqu'au moment où un drame l'anéantit et le pousse à s'enfuir. Une longue errance à la recherche de ses origines mais aussi au cours de laquelle il va réapprendre à vivre autrement.

Pouvoirs est le dernier Tome de la trilogie des Chroniques des Rivages de l'Ouest, qui débutait avec la connaissance d'Orrec et de Gry, dans Dons, puis se poursuivait avec l'histoire de Némar dans Voix. Tout comme dans les précédents tomes, la place de la lecture, des contes et histoires racontées y est primordiale. 

Bien qu'esclave, Gavir a reçu une instruction qui le destinait à enseigner à son tour lorsqu'il en aurait atteint l'âge et la capacité. Il est surprenant de constater à quel point la notion de point de vue est différente selon ce que l'on vit ou la façon dont on vit. L'esclavage est le point le plus important de Pouvoirs. Comment peut-il être perçu par un enfant qui n'a connu que cela en rapport avec ceux qui s'en défendent et luttent contre ?

Au départ Gavir est absolument heureux et satisfait de son sort .... normal il  n'a connu que cela, de plus il profite de bons traitements, de la possibilité d'apprendre à lire et écrire et il est doué pour cela. En aucun cas il ne remet en cause le système de castes dans lequel il vit, ni les décisions prises à son encontre et à l'encontre de ceux qui sont dans le même cas que lui.
Les rumeurs de révoltes contre cet ordre du monde ne le touchent pas et ne remettent pas en question sa vision des choses. Jusqu'au moment où le malheur le frappe et l'oblige à voir autrement sa condition.
Il est étrange de constater qu'un esclave, même instruit, donc avec la possibilité de découvrir autre chose que sa propre vie, peut être conditionné à accepter sa vie parce qu'il n'a connu que cela.
Il faudra beaucoup de temps et de rencontres à Gavir pour remettre peu à peu en cause sa restriction de liberté qui était la sienne.
En même temps sa route consiste en une quête initiatique qui l'amène à se découvrir lui-même et surtout l'endroit d'où il vient.

Et de la même manière que l'on peut ne pas souffrir de sa condition d'esclave parce qu'on n'a connu que cela, on peut aussi ne pas se trouver à sa place parmi les siens parce qu'on n'a pas grandi parmi eux.

Ursula Le Guin traite de toutes ces questions de la manière qui lui est propre : en douceur, dans une écriture fluide et apaisante, comme toujours.
Et on se laisse emporter par la quête de Gavir, ressentant comme lui ses émotions, ses chagrins, ses souffrances ses révoltes muettes. Le Guin a l'art de rendre ses personnages charismatiques .... à un point que je ne lui reproche qu'une seule chose dans la conclusion de cette trilogie ...  C'est l'attente des retrouvailles avec ses tous premiers personnages, à savoir Orrec et Gry .... qui arrive à un point que l'on n'attend plus, ce qui m'a frustrée.
J'aurais aimé que cela arrive beaucoup plus tôt et savoir ce qu'il advenait ensuite de Gavir .. mais visiblement cette quête là avait pris fin.

Bon cela ne nuit en rien à la qualité de cette trilogie, dont j'avoue quand même préférer de loin le tout premier Tome. De toute façon pour moi Ursula Le Guin est une véritable magicienne des mots et une extraordinaire conteuse.

Un petit point qui m'interpelle tout de même, les couvertures de ces éditions l'Atalante ... dont les personnages représentés sont à mille lieues de ceux décrits dans les livres, particulièrement pour ce Tome ci qui présente un Gavir blanc aux cheveux noirs .... sauf que Gavir est .... noir. Je ne suis pas très fan de ces couvertures d'ailleurs mais là cela dépasse les bornes car cela n'a aucun rapport. Dommage.

Extraits
Autour ses ses mots, le silence se répandit. Il m'entoura, de plus en plus vaste et profond. J'étais dans un bassin, au fond d'un bassin non pas d'eau mais de silence et de néant, qui se poursuivait jusqu'à la fin du monde. Je ne respirais pas d'air. Je respirais ce néant.

Ce n'était pas à eux  mais à moi. C'était tout ce que j'avais jamais vraiment possédé. Je mis un terme à mes efforts d'amnésie. Tout ce que j'avais appris dans les livres me revint avec une clarté et une exhaustivité que d'aucuns jugent parfois inquiétantes, alors que ce don n'est pas si rare que cela. Je pus à nouveau pénétrer mentalement dans la salle de classe ou la bibliothèque d'Arcamand, en ouvrir un livre et le lire. Debout devant mon public, dans la salle de bois à haut plafond, je pus ouvrir la bouche, prononcer les premières lignes d'un poème ou d'un conte, et le reste suivait sans peine. La poésie se disait d'elle-même, les chants se chantaient d'eux-mêmes, à travers moi. Les légendes se renouvelaient ainsi que coule une rivière.

Ailleurs
Olya ; Vert ...

4 commentaires:

  1. On est bien d'accord sur le final bâclé et la couverture. Sinon c'est quand même un très très beau roman. Tu as d'autres Le Guin en tête pour continuer ? :D

    RépondreSupprimer
  2. Oui c'est un très beau roman. Je ne sais pas ce que je vais lire par la suite, il parait qu'elle a écrit aussi de la SF ? Cela me tenterait bien.

    RépondreSupprimer
  3. Son cycle de l'Ekumen est très chouette et hyper intéressant, même si beaucoup plus exigeant. Le premier c'est la Main gauche de la Nuit.

    RépondreSupprimer