lundi 16 avril 2012

La stratégie de l'ombre d'Orson Scott Card

Bean, enfant des rues de Rotterdam, se battant tous les jours pour sa survie, est repéré par une Soeur qui va tout faire pour qu'il attire l'oeil des recruteurs de l'Ecole de Guerre, laquelle forme des enfants afin de lutter contre l'invasion d'une race extra-terrestre : les doryphores. C'est ainsi qu'il va rencontrer le fameux Ender Wiggin, enfant surdoué comme lui, de quelques années son aîné et sur lequel repose tous les espoirs.
Sauf que Bean pense que lui aussi peut réussir voire faire mieux qu'Ender ...

La stratégie de l'ombre - et le roman porte bien son nom- est un roman parallèle à La stratégie d'Ender .. en quelque sorte même les coulisses de ce dernier. 
Avant d'en parler je me suis longuement interrogée sur la nécessité qu'a eu l'auteur de revenir sur une histoire qui ne demandait pas forcément un autre traitement.
Il s'en explique dans un avant-propos : son objectif était de proposer une façon différente de traiter son histoire phare, conservant les personnages et décors originaux mais avec un point de vue différent (celui de Bean). Au préalable il ne devait pas en être l'auteur, il avait même proposé à Neal Shusterman de travailler avec lui et au final n'a pas supporté que le livre revienne dans d'autres mains que les siennes donc l'a rédigé lui-même.
Pour autant je reste sceptique ... Pour moi La stratégie d'Ender était par lui-même suffisamment complet pour ne pas donner envie de le voir autrement.
Quand je parlais de coulisses à l'histoire, c'est tout à fait cela ... dans ce roman là, toute la part de mystère et d'intrigue qui entourait le roman initial part en éclat  car tout est expliqué via Bean, et pire certaines épreuves imposées à Ender, découlent directement des analyses de l'autre enfant surdoué. Cela reste dans l'ombre certes puisque jamais Ender ne réalisera qui tire les ficelles. D'où ce titre au roman.

Par au-dessus s'inscrit une intrigue sur Bean lui-même : son intelligence incroyable (plus extraordinaire que celle d'Ender) serait le fruit d'une manipulation génétique qui la ferait accroître de façon exponentielle .... alors parallèlement à son histoire et son intégration à l'Ecole, se poursuit l'enquête menée par la Soeur Carlotta, celle la même qui le tira de la rue. C'est une partie intéressante de l'histoire puisqu'elle traite des manipulations génétiques, de ses dangers mais aussi du droit pris par certains individus pour jouer sur le génome d'autres êtres vivants.

Ce roman se présente de la même manière que La stratégie d'Ender : chaque chapitre s'ouvre sur une discussion entre les dirigeants de l'Ecole au sujet des enfants ... discussions souvent stériles et erronées de par leur méconnaissance de la psychologie de ceux qu'ils voient comme de charmant bambins juste doués intellectuellement mais incapables de violence et surtout pas en mesure de réaliser qu'ils sont manipulés.
Grave erreur ... car encore plus qu'Ender, l'enfant Bean voit tout, fourre son nez partout et devine tout y compris la fameuse fin qui restait très surprenante dans La stratégie d'Ender mais qui évidement perd toute sa saveur via cette sorte de clone du récit.

Après le roman se lit aussi facilement que l'autre, il est intéressant de voir Ender d'un autre point de vue bien que je pense que cela le diminue un peu .... intéressant de constater aussi qu'il traite son alter égo de la même manière qu'il fut traité lui-même : c'est-à-dire de façon brutale et humiliante et que malgré tout il ressort comme le héros. Intéressant aussi de constater que Card utilise les mêmes ficelles que dans son autre roman : l'enfant en souffrance parce qu'il est obligé de briller, l'élément violent et tueur, l'intelligence sur-humaine dont doivent faire preuve ces enfants pour survivre à la façon sont ils sont traités etc ...
Il y a aussi un côté malsain à la personnalité de Bean qui, tout en aidant Ender, lui nuit involontairement. Qui aussi, tout en voulant lui être meilleur, lui cède la place parce qu'il est prouvé que c'est de toute façon l'autre le plus à même d'accomplir la mission qui leur est impartie. C'est à la fois son ami, son admirateur, son bras droit mais son traitre. Très troublant ...

Qu'a voulu prouver l'auteur en construisant ce tome ci ? J'ai la sensation qu'il aimait tellement son personnage héros, son enfant stratège, qu'il a voulu reconstruire quelque chose autour de lui, pour entrer à nouveau dans son histoire mais sous un éclairage différent. Pas seulement pour cette dernière raison puisqu'il le dit lui-même mais parce que tout simplement il voulait retrouver Ender lui-même comme vu dans un miroir.
Sauf que je trouve  très étrange de vouloir revenir sur une histoire qui à la base traite tout de même d'une violence psychologique grave menée à l'encontre d'enfants très jeunes. C'est l'aspect qui m'avait choquée déjà dans La stratégie d'Ender et je ne comprends pas bien la nécessité d'avoir voulu y revenir, d'une autre manière certes mais qui traite encore cet aspect des choses et en quelque sorte de manière encore plus perverse. Et la souffrance de l'enfant Ender parait encore plus monstrueuse que dans l'autre tome.

Il explique aussi dans son Avant Propos que les trois suites de sa série se recoupaient et qu'en fin de compte le tout premier roman en demeurait orphelin. Soit mais en en même temps c'est justement ce qui en faisait toute sa qualité et son effet d'originalité et de surprise. Car tout ceci est gommé dans la Stratégie de l'Ombre, forcément puisque c'est un livre explicatif du tout.

Pour conclure, je dirais que c'est  un livre qui se lit très bien, qui accroche tout aussi facilement que l'autre, ce n'est pas du tout un mauvais roman et on peut considérer qu'il apporte des éléments qui éclairent l'autre pourtant je ne les trouve pas nécessairement utiles voire même ils auraient tendance à le desservir.

Extrait
"Moi, je  ne suis pas comme toi. Je ne suis qu'un gosse des rues qui  a pour seul talent de savoir survivre par tous les moyens. L'unique fois où je me suis trouvé en danger, je me suis sauvé comme un écureuil et je me suis jeté dans les jupes de soeur Carlotta. Ender est allé seul au combat, tandis que je suis allé seul dans mon refuge. Moi, je fais de grands discours guerriers, debout sur une table de réfectoire ; toi, tu affrontes nu l'ennemi et tu le vaincs alors que toutes les chances sont contre toi.
Je ne sais pas quels gènes ont a modifiés chez moi, mais ce n'étaient pas les bons."
 

Ailleurs


5 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique, je ne savais pas qu'il y avait un livre annexe à La stratégie d'Ender :)
    Mais comme tu le dis, je partage les mêmes interrogations, quel intérêt de revenir sur une histoire qui se suffisait déjà bien assez à elle-même? Cela à l'air intéressant tout de même à lire, mais je ne sais pas si j'aurais le courage de me replonger dans cet univers. Après avoir fini la trilogie d'Ender, que j'ai adoré, mais qui m'a beaucoup interpellée aussi, je me suis dit que je ne me replongerais pas dedans de sitôt, une seule lecture me suffit pour toute ma vie je crois !
    Qui sait je changerais peut-être d'avis ^^

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    1. En fait c'est intéressant dans le sens où Card sait nous captiver par ses récits et aussi par le fait que l'on comprend certaines choses qui étaient restées sous jacentes dans la Stratégie d'Ender. D'ailleurs la plupart des avis que j'ai lu étaient enthousiastes, alors que moi je suis restée mitigée à cause de l'intérêt justement de la nécessité d'une telle suite. J'en ai profité car on m'avait prêté le livre sinon je ne pense pas que je l'aurais lu.

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  2. Je pense qu'il racle un peu les fonds de tiroir, me semble avoir vu un roman qui se passait entre La stratégie Ender et la Voix des Morts sorti y'a pas longtemps, dans le genre surexploitage du filon (déjà que j'ai toujours pas fini le cycle d'origine xD)

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    1. En fait il existe tout un cycle en parallèle au premier, mettant visiblement en scène le nouvel héros de Card. Je ne pense pas que je les lirai du coup.
      Par contre j'avais beaucoup apprécié le cycle d'Ender.

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  3. POur avoir commencé par la stratégie de l'ombre et non la stratégie Ender j'aurais tendance à largement préférer cette première. Certes le même monde mais des héros tellement différents psychologiquement, les romans en deviennent quasiment indépendants. Cependant si j'opte pour la stratégie de l'ombre c'est surtout pour les livres qui viennent ensuite et sont tout aussi captivants, et magnifiquement géopolitisés, là où le cycle Ender s'épuise assez rapidement à mes yeux.
    Enfin bon tout cela n'engage que moi mais pour avoir tout lu j'opte plutot pour le coté de l'ombre;)
    bd

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